« Les zones sensibles d’Hortense Soichet » publié par Midi-Pyrénées Patrimoine, printemps 2012.
Dans leur grande majorité, les photographies d’Hortense Soichet représentent des intérieurs d’appartements et de maisons. Des lieux manifestement habités, mais dont les occupants semblent s’être momentanément absentés, puisqu’on ne les voit pas sur les photos. Le titre des expositions indique que ces espaces domestiques sont voisins les uns des autres, qu’ils se situent sur un même territoire, délimité et dénommé : la Goutte-d’Or, dans le XVIIIe arrondissement de Paris, les Fenassiers à Colomiers, les cantons de Muret, Saint-Gaudens et Le Fousseret en Haute-Garonne. Tout en adoptant une approche géographique, voire cartographique avec un certain esprit de système, Hortense Soichet fait cependant de l’anti-Google Street : à la place des perspectives grises et rectilignes des rues et des façades, elle révèle les couleurs et les volumes des espaces de vie dissimulés derrière les murs.
Des habitants à l’intérieur
Lisses, neutres, objectives, ses images paraissent adopter le langage distancié de la photographie documentaire. Absolument nettes en tous leurs points, en grand angle et lumière naturelle pour restituer la vision réelle, sans afféterie ni arrangement de ce qui est donné à voir. Tel quel. Pour éclairer sur les origines de son travail, Hortense Soichet évoque François Hers et sa série Intérieurs, ou Jacqueline Salmon. Elle se dit proche de ces travaux qui s’interdisent l’émotionnel et le spectaculaire sans pour autant se dérober à l’humain.
Car les photographies d’intérieurs d’Hortense Soichet transpirent l’humain. De manière diffuse, sur un mode mineur mais persistant. Il flotte dans ses prises de vue quelque chose d’une présence humaine qui se passerait du corps. La photographe se montre capable de capturer le parfum des personnes qui viennent de quitter leur antre, leur enveloppe de meubles et de bibelots. Un tissu africain jeté sur un canapé, des sacs plastiques bizarrement suspendus à distance du sol, un carton de déménagement qui n’a toujours pas été déballé, une chaîne hi-fi portative posée à même le sol… ici et là des détails dérangent dans une « décoration » à l’abord homogène et stable. Dans un ensemble qui semblait répondre à l’impératif : une place pour chaque chose et chaque chose à sa place, des failles se dessinent, des décalages s’installent, par où se murmurent des histoires. Respectant l’adage « montre-moi où tu vis, je te dirai qui tu es» les appartements photographiés par Hortense Soichet racontent leurs occupants. L’inverse étant tout aussi vrai d’ailleurs, puisque la photographe élabore pour chaque série un dispositif d’exposition qui ajoute aux images les réponses apportées par les habitants à la question qu’elle leur a posée : pourquoi vivez-vous ici ?
La mémoire des lieux
Les images d’Hortense Soichet ne paraissent plus alors si lisses, neutres et objectives, plus si distanciées ni silencieuses. Comme elle le dit très justement elle-même, ses photographies documentent « un territoire sensible ». En redonnant à cet adjectif son sens premier, doué de sensibilité, Hortense Soichet transforme aussi ces territoires en « nerf sensible » où éprouver la vibration d’une évolution sociale et urbaine. Et, parce que les nerfs sensibles font souvent mal, où entendre des souffrances, des angoisses, des solitudes, qui se disent à demi-mot. Ses séries photographiques répondent toujours à l’impérieuse nécessité qui s’est faite jour lorsqu’en 2003 elle photographie des sans domicile dans un quartier parisien voué à la démolition. Hortense Soichet avait alors choisi de chroniquer les déplacements et la précarité des squatteurs, souvent des sans-papiers, en photographiant les murs, les venelles, les recoins de leurs refuges. Un matelas usé et nu par-ci, des bouteilles et des plastiques, des traces de vie pour raconter des vies qui veillaient à ne pas laisser de traces.
Lorsqu’elle s’approche d’un territoire donné, Hortense Soichet adopte donc une démarche qui rejette le panorama global au profit du parcellaire et de l’individuel, remplace le paysage extérieur par la vue d’intérieur, le propos sociologique général par des témoignages qui font affleurer la mémoire des lieux et parfois les vœux d’avenir. Avec ses images fixes qui semblent si bien figer leur sujet « immobilier », elle parvient à rendre perceptible la transformation, le glissement qu’est en train de vivre un territoire, entre ruralité et rurbanisation (Le Fousseret), démolition et reconstruction (les Fenassiers), pauvreté et embourgeoisement (la Goutte-d’Or). Exposer la face cachée des quartiers est pour Hortense Soichet une manière de tirer le portrait de territoires mouvants, vivants comme les anonymes qui les habitent, d’en archiver la mémoire individuelle et collective.
Dominique Crébassol
Dans leur grande majorité, les photographies d’Hortense Soichet représentent des intérieurs d’appartements et de maisons. Des lieux manifestement habités, mais dont les occupants semblent s’être momentanément absentés, puisqu’on ne les voit pas sur les photos. Le titre des expositions indique que ces espaces domestiques sont voisins les uns des autres, qu’ils se situent sur un même territoire, délimité et dénommé : la Goutte-d’Or, dans le XVIIIe arrondissement de Paris, les Fenassiers à Colomiers, les cantons de Muret, Saint-Gaudens et Le Fousseret en Haute-Garonne. Tout en adoptant une approche géographique, voire cartographique avec un certain esprit de système, Hortense Soichet fait cependant de l’anti-Google Street : à la place des perspectives grises et rectilignes des rues et des façades, elle révèle les couleurs et les volumes des espaces de vie dissimulés derrière les murs.
Des habitants à l’intérieur
Lisses, neutres, objectives, ses images paraissent adopter le langage distancié de la photographie documentaire. Absolument nettes en tous leurs points, en grand angle et lumière naturelle pour restituer la vision réelle, sans afféterie ni arrangement de ce qui est donné à voir. Tel quel. Pour éclairer sur les origines de son travail, Hortense Soichet évoque François Hers et sa série Intérieurs, ou Jacqueline Salmon. Elle se dit proche de ces travaux qui s’interdisent l’émotionnel et le spectaculaire sans pour autant se dérober à l’humain.
Car les photographies d’intérieurs d’Hortense Soichet transpirent l’humain. De manière diffuse, sur un mode mineur mais persistant. Il flotte dans ses prises de vue quelque chose d’une présence humaine qui se passerait du corps. La photographe se montre capable de capturer le parfum des personnes qui viennent de quitter leur antre, leur enveloppe de meubles et de bibelots. Un tissu africain jeté sur un canapé, des sacs plastiques bizarrement suspendus à distance du sol, un carton de déménagement qui n’a toujours pas été déballé, une chaîne hi-fi portative posée à même le sol… ici et là des détails dérangent dans une « décoration » à l’abord homogène et stable. Dans un ensemble qui semblait répondre à l’impératif : une place pour chaque chose et chaque chose à sa place, des failles se dessinent, des décalages s’installent, par où se murmurent des histoires. Respectant l’adage « montre-moi où tu vis, je te dirai qui tu es» les appartements photographiés par Hortense Soichet racontent leurs occupants. L’inverse étant tout aussi vrai d’ailleurs, puisque la photographe élabore pour chaque série un dispositif d’exposition qui ajoute aux images les réponses apportées par les habitants à la question qu’elle leur a posée : pourquoi vivez-vous ici ?
La mémoire des lieux
Les images d’Hortense Soichet ne paraissent plus alors si lisses, neutres et objectives, plus si distanciées ni silencieuses. Comme elle le dit très justement elle-même, ses photographies documentent « un territoire sensible ». En redonnant à cet adjectif son sens premier, doué de sensibilité, Hortense Soichet transforme aussi ces territoires en « nerf sensible » où éprouver la vibration d’une évolution sociale et urbaine. Et, parce que les nerfs sensibles font souvent mal, où entendre des souffrances, des angoisses, des solitudes, qui se disent à demi-mot. Ses séries photographiques répondent toujours à l’impérieuse nécessité qui s’est faite jour lorsqu’en 2003 elle photographie des sans domicile dans un quartier parisien voué à la démolition. Hortense Soichet avait alors choisi de chroniquer les déplacements et la précarité des squatteurs, souvent des sans-papiers, en photographiant les murs, les venelles, les recoins de leurs refuges. Un matelas usé et nu par-ci, des bouteilles et des plastiques, des traces de vie pour raconter des vies qui veillaient à ne pas laisser de traces.
Lorsqu’elle s’approche d’un territoire donné, Hortense Soichet adopte donc une démarche qui rejette le panorama global au profit du parcellaire et de l’individuel, remplace le paysage extérieur par la vue d’intérieur, le propos sociologique général par des témoignages qui font affleurer la mémoire des lieux et parfois les vœux d’avenir. Avec ses images fixes qui semblent si bien figer leur sujet « immobilier », elle parvient à rendre perceptible la transformation, le glissement qu’est en train de vivre un territoire, entre ruralité et rurbanisation (Le Fousseret), démolition et reconstruction (les Fenassiers), pauvreté et embourgeoisement (la Goutte-d’Or). Exposer la face cachée des quartiers est pour Hortense Soichet une manière de tirer le portrait de territoires mouvants, vivants comme les anonymes qui les habitent, d’en archiver la mémoire individuelle et collective.
Dominique Crébassol