Entretien de Diaty Diallo dans le cadre du mémoire de Master Projets Culturels dans l'Espace Public : "Entre émancipation et injonction, la participation : quelle influence pour les artistes contemporains ?" sous la direction de Pascal Le Brun-Cordier. Paris, Université Panthéon-Sorbonne, 2014.
Diaty Diallo : Quelles questions poses-tu à travers tes photographies ?
Hortense Soichet : J'ai mené des recherches autour de la question « comment la photographie peut rendre compte de faits sociaux, sociologiques ? » Je me suis toujours intéressée au territoire à la manière dont la photographie peut représenter un espace, comment « on habite », documenter un lieu une époque. [...] A partir de 2009, je me suis particulièrement intéressée à la question du logement. Le premier projet s'est construit autour du quartier de la Goutte d'Or dans lequel j'ai travaillé durant un an et demi. L'idée était d'interroger l'appellation de « ZUS » en me demandant quels étaient les habitants de ce quartier et comment y vivaient-ils. Pour y répondre il me semblait intéressant d'aller chez les gens : beaucoup des espaces extérieurs de ce quartier ont déjà été photographiés car beaucoup d'artistes y résident, c'est aussi le terrain de nombreuses études sociologiques. […] Je souhaitais montrer la diversité au sein du quartier tout en allant au hasard des rencontres. J'avais l'envie d'un regard homogène, en dépit des inégalités sociales. Chacune des images devait être négociée : après chaque prise de vue, je transmets les images et textes aux participants et j'accepte leurs éventuelles demandes de modifications. Je ne fais pas signer d'autorisation : je n'apprécie pas l'idée d'un contrat passé, trop protocolaire, je préfère que les choses restes tacites, dans une entente mutuelle. J'ai poursuivi ce travail sur le logement à l'aide de deux autres projets, l'un en Haute Garonne, pour interroger le péri-urbain, le second entre Montreuil, Beauvais, Carcassonne, et Colomiers. Cette fois, je me suis davantage concentrée sur les logements sociaux, les grands ensembles. […] J'ai travaillé en partenariat avec les communes et leurs acteurs que j'ai sollicité et parfois l'inverse. Cela me permettait d'être mis en relation plus légitimement avec les résidents.
Diaty Diallo : Tu effectues la démarche d'aller voir les acteurs municipaux dans le but d'obtenir une résidence. Réponds-tu à des appels à projets ?
Hortense Soichet : Ça m'arrive bien sûr mais par exemple Beauvais et Montreuil étaient des territoires sur lesquels j'avais l'envie de travailler. Pour ce projet Ensembles je voulais des communes avec des particularités qui soient réparties partout en France. Colomiers et Carcassonne m'ont sollicité pour ce projet, j'ai donc fait en sorte de rallier ces villes aux deux premières. À chaque fois j'ai essayé de créer du lien dans les résidences : ateliers, mise en ligne de contenu accessible à tous, événements locaux pour les restitutions. […] Je travaille également depuis un an et demi avec les femmes d'une communauté gitane dans les alentours de Carcassonne. La spécificité de ce projet était que nous photographions ensemble afin de faire un livre dans lequel les images, les leurs et les miennes, ne se dissocieraient pas. Nous avons porté et mis en commun nos regards sur ces espaces d'habitations mobiles.
Diaty Diallo : Quelle relation établir entre ses propres projets et ceux issues de commandes extérieures ?
Hortense Soichet : Il y a plusieurs configurations possibles : la résidence longue qui permet de travailler régulièrement avec les participants, le projet évolue en parallèle et est nourri par les différents ateliers menés. Les deux démarches sont les parties d'un seul et même projet. Il est plus complexe de penser ces deux démarches lorsque les périodes d'atelier sont plus courtes : il est plus difficile d'accrocher les participants et de partager sa propre pratique artistique. Malgré tout, cela permet d'expérimenter, d'observer la façon dont les participants s'approprient les consignes, les détournent. C'est très enrichissant !
Diaty Diallo : Que permet la participation dans tes projets ? En quoi une photographie peut-elle être influencée par la participation des habitants ?
Hortense Soichet : Une photographie est complètement dépendante de la rencontre et de l’acceptation des habitants. Si l'habitant refuse, je ne peux pas prendre de photos, tout dépend de lui... et de mon pouvoir de persuasion. A Colomiers et à Montreuil, j'ai mis deux mois avant de pouvoir faire une seule photographie. Il faut d'abord que je comprenne le fonctionnement du quartier avant de savoir où aller toquer, qui aller voir. Ce qui m'intéresse c'est que je vais présenter une facette du quartier en fonction de ce que les gens vont bien vouloir me montrer.
Diaty Diallo : Comment perçois-tu ta position au milieu de tous ces acteurs et collaborateurs lors d'une résidence ? Te sens-tu influencée dans ta démarche ?
Hortense Soichet : Tout dépend des personnalités ! Certaines interviennent davantage dans le processus artistique pour créer une collaboration rapprochée, ou bien parce qu'elles possèdent une idée très précises du résultat attendu. Le travail effectué avec Pronomades à été très encadré par l'équipe par exemple ! J'aime avoir des contraintes : parfois certains choix imposés sont très intéressants car ils permettent de se détourner d'une certaine projection sur le résultat final. Ce qui est important c'est de correctement se positionner par rapport aux habitants : ma place n'est pas celle d'un médiateur, ce que je fais ne va « rien » leur apporter de matériel. Aussi, je me considère comme indépendante, je vais d'un endroit à l'autre sans me sentir ni influencée ni sanctionnée : parfois je vais même volontairement à l'inverse de mes opinions pour provoquer un frottement. Je n'ai pas la sensation que mon travail puisse changer les choses au niveau local, je n'ai pas non plus la sensation qu'on l'ai utilisé pour cela. […]
Diaty Diallo : Ton travail est finalement plus collaboratif que « participatif »...
Hortense Soichet : Je ne sais pas si je rends autant aux gens qu'ils me donnent. Dans tous les cas je suis toujours très claire avec ceux que je sollicite. Parfois je me suis retrouvée dans des situations très complexes avec des gens qui souhaitaient réellement dénoncer quelque chose en me montrant leurs habitats.
Diaty Diallo : Comment envisages-tu ton rapport à l'espace public ?
Hortense Soichet : En évitant son écueil ! Pas parce que je ne le trouve pas intéressant, mais parce qu'il n'est pas pour moi un espace privilégié de prises de vue et de travail. Parce que ce n'est pas forcément un endroit où l'on peut rencontrer et avoir un rapport privilégié avec les gens. […] J'ai besoin de prendre le temps de mener un projet. C'est pourquoi mon travail s’épanouit mieux, à mon sens, dans l'espace privé, quitte à photographier l'espace public depuis ces intérieurs. Après, la frontière n'est pas si franche que ça, les espaces publics de certains quartiers ne le sont plus vraiment tant ils ont été réappropriés par certains de leurs habitants, avec une réorganisation par genre par exemple.
Diaty Diallo : Ces espaces publics sont aussi des espaces de rôles. Du travailleur en chemin au simple passant : nous sommes en représentation de nous-mêmes. Est-ce pour cela que tu interroges davantage les espaces privés où les personnes se livrent peut-être plus telles qu'elles sont ?
Hortense Soichet : Je ne sais pas, puisqu'en définitive cela dépend d'où l'on se trouve. Chez les gitans, les frontières entre espaces publics et privés ne sont pas du tout les mêmes que dans une grande ville par exemple. L'extérieur est déjà l'intérieur dans certains camps. Pareil pour les milieux ruraux : l'espace public semble appartenir aux habitants, il faut pouvoir se faire accepter d'où que l'on vienne.
Diaty Diallo : Il te faut un passeport à chaque fois, alors, pour dépasser ces frontières immatérielles ?
Hortense Soichet : Oui, j'ai par exemple une fois commencé par interviewer les gens afin de créer une intimité, un lien qui me permettait d'accéder à leur espace, du moins leurs perceptions de celui-ci...
Diaty Diallo : Quelles questions poses-tu à travers tes photographies ?
Hortense Soichet : J'ai mené des recherches autour de la question « comment la photographie peut rendre compte de faits sociaux, sociologiques ? » Je me suis toujours intéressée au territoire à la manière dont la photographie peut représenter un espace, comment « on habite », documenter un lieu une époque. [...] A partir de 2009, je me suis particulièrement intéressée à la question du logement. Le premier projet s'est construit autour du quartier de la Goutte d'Or dans lequel j'ai travaillé durant un an et demi. L'idée était d'interroger l'appellation de « ZUS » en me demandant quels étaient les habitants de ce quartier et comment y vivaient-ils. Pour y répondre il me semblait intéressant d'aller chez les gens : beaucoup des espaces extérieurs de ce quartier ont déjà été photographiés car beaucoup d'artistes y résident, c'est aussi le terrain de nombreuses études sociologiques. […] Je souhaitais montrer la diversité au sein du quartier tout en allant au hasard des rencontres. J'avais l'envie d'un regard homogène, en dépit des inégalités sociales. Chacune des images devait être négociée : après chaque prise de vue, je transmets les images et textes aux participants et j'accepte leurs éventuelles demandes de modifications. Je ne fais pas signer d'autorisation : je n'apprécie pas l'idée d'un contrat passé, trop protocolaire, je préfère que les choses restes tacites, dans une entente mutuelle. J'ai poursuivi ce travail sur le logement à l'aide de deux autres projets, l'un en Haute Garonne, pour interroger le péri-urbain, le second entre Montreuil, Beauvais, Carcassonne, et Colomiers. Cette fois, je me suis davantage concentrée sur les logements sociaux, les grands ensembles. […] J'ai travaillé en partenariat avec les communes et leurs acteurs que j'ai sollicité et parfois l'inverse. Cela me permettait d'être mis en relation plus légitimement avec les résidents.
Diaty Diallo : Tu effectues la démarche d'aller voir les acteurs municipaux dans le but d'obtenir une résidence. Réponds-tu à des appels à projets ?
Hortense Soichet : Ça m'arrive bien sûr mais par exemple Beauvais et Montreuil étaient des territoires sur lesquels j'avais l'envie de travailler. Pour ce projet Ensembles je voulais des communes avec des particularités qui soient réparties partout en France. Colomiers et Carcassonne m'ont sollicité pour ce projet, j'ai donc fait en sorte de rallier ces villes aux deux premières. À chaque fois j'ai essayé de créer du lien dans les résidences : ateliers, mise en ligne de contenu accessible à tous, événements locaux pour les restitutions. […] Je travaille également depuis un an et demi avec les femmes d'une communauté gitane dans les alentours de Carcassonne. La spécificité de ce projet était que nous photographions ensemble afin de faire un livre dans lequel les images, les leurs et les miennes, ne se dissocieraient pas. Nous avons porté et mis en commun nos regards sur ces espaces d'habitations mobiles.
Diaty Diallo : Quelle relation établir entre ses propres projets et ceux issues de commandes extérieures ?
Hortense Soichet : Il y a plusieurs configurations possibles : la résidence longue qui permet de travailler régulièrement avec les participants, le projet évolue en parallèle et est nourri par les différents ateliers menés. Les deux démarches sont les parties d'un seul et même projet. Il est plus complexe de penser ces deux démarches lorsque les périodes d'atelier sont plus courtes : il est plus difficile d'accrocher les participants et de partager sa propre pratique artistique. Malgré tout, cela permet d'expérimenter, d'observer la façon dont les participants s'approprient les consignes, les détournent. C'est très enrichissant !
Diaty Diallo : Que permet la participation dans tes projets ? En quoi une photographie peut-elle être influencée par la participation des habitants ?
Hortense Soichet : Une photographie est complètement dépendante de la rencontre et de l’acceptation des habitants. Si l'habitant refuse, je ne peux pas prendre de photos, tout dépend de lui... et de mon pouvoir de persuasion. A Colomiers et à Montreuil, j'ai mis deux mois avant de pouvoir faire une seule photographie. Il faut d'abord que je comprenne le fonctionnement du quartier avant de savoir où aller toquer, qui aller voir. Ce qui m'intéresse c'est que je vais présenter une facette du quartier en fonction de ce que les gens vont bien vouloir me montrer.
Diaty Diallo : Comment perçois-tu ta position au milieu de tous ces acteurs et collaborateurs lors d'une résidence ? Te sens-tu influencée dans ta démarche ?
Hortense Soichet : Tout dépend des personnalités ! Certaines interviennent davantage dans le processus artistique pour créer une collaboration rapprochée, ou bien parce qu'elles possèdent une idée très précises du résultat attendu. Le travail effectué avec Pronomades à été très encadré par l'équipe par exemple ! J'aime avoir des contraintes : parfois certains choix imposés sont très intéressants car ils permettent de se détourner d'une certaine projection sur le résultat final. Ce qui est important c'est de correctement se positionner par rapport aux habitants : ma place n'est pas celle d'un médiateur, ce que je fais ne va « rien » leur apporter de matériel. Aussi, je me considère comme indépendante, je vais d'un endroit à l'autre sans me sentir ni influencée ni sanctionnée : parfois je vais même volontairement à l'inverse de mes opinions pour provoquer un frottement. Je n'ai pas la sensation que mon travail puisse changer les choses au niveau local, je n'ai pas non plus la sensation qu'on l'ai utilisé pour cela. […]
Diaty Diallo : Ton travail est finalement plus collaboratif que « participatif »...
Hortense Soichet : Je ne sais pas si je rends autant aux gens qu'ils me donnent. Dans tous les cas je suis toujours très claire avec ceux que je sollicite. Parfois je me suis retrouvée dans des situations très complexes avec des gens qui souhaitaient réellement dénoncer quelque chose en me montrant leurs habitats.
Diaty Diallo : Comment envisages-tu ton rapport à l'espace public ?
Hortense Soichet : En évitant son écueil ! Pas parce que je ne le trouve pas intéressant, mais parce qu'il n'est pas pour moi un espace privilégié de prises de vue et de travail. Parce que ce n'est pas forcément un endroit où l'on peut rencontrer et avoir un rapport privilégié avec les gens. […] J'ai besoin de prendre le temps de mener un projet. C'est pourquoi mon travail s’épanouit mieux, à mon sens, dans l'espace privé, quitte à photographier l'espace public depuis ces intérieurs. Après, la frontière n'est pas si franche que ça, les espaces publics de certains quartiers ne le sont plus vraiment tant ils ont été réappropriés par certains de leurs habitants, avec une réorganisation par genre par exemple.
Diaty Diallo : Ces espaces publics sont aussi des espaces de rôles. Du travailleur en chemin au simple passant : nous sommes en représentation de nous-mêmes. Est-ce pour cela que tu interroges davantage les espaces privés où les personnes se livrent peut-être plus telles qu'elles sont ?
Hortense Soichet : Je ne sais pas, puisqu'en définitive cela dépend d'où l'on se trouve. Chez les gitans, les frontières entre espaces publics et privés ne sont pas du tout les mêmes que dans une grande ville par exemple. L'extérieur est déjà l'intérieur dans certains camps. Pareil pour les milieux ruraux : l'espace public semble appartenir aux habitants, il faut pouvoir se faire accepter d'où que l'on vienne.
Diaty Diallo : Il te faut un passeport à chaque fois, alors, pour dépasser ces frontières immatérielles ?
Hortense Soichet : Oui, j'ai par exemple une fois commencé par interviewer les gens afin de créer une intimité, un lien qui me permettait d'accéder à leur espace, du moins leurs perceptions de celui-ci...