Cette troisième semaine passée entre l’ehpad et la Maison d’Accueil Spécialisée de Castelnau-Montratier m’amène à élargir mon sujet. Alors que je n’avais pas pu travailler plus d’un jour la semaine précédente à la mas, les portes sont de nouveau ouvertes et j’ai plusieurs prises de vue programmées. Les photographies se font avec des personnes que j’avais déjà vu une première fois, à qui j’avais présenté mon travail et avec lesquelles nous avons déterminé ce que nous photographierons ensemble la fois suivante. Mais lors des prises de vue de cette semaine, contrairement à ce qui avait été convenu précédemment, toutes les personnes me demandent de figurer sur les photographies. Les lieux choisis initialement sont maintenus, certains sont ajoutés et les personnes veulent donc être dans le cadre. Par précaution, je veille à doubler chaque photographie par une image sans la personne. Pour l’une de ces personnes habitant au sein de la mas, la photographie dans sa chambre en son absence est triste, car l’espace est peu investi et de ce fait le mobilier médicalisé ressort davantage. Nous en faisons une autre à sa demande avec elle dessus, installée sur son fauteuil Omega(3), mais on la distingue à peine car elle est allongée et a des difficultés à se redresser. La troisième photographie est faite à sa demande dehors, dans une partie du jardin avec des arbres en arrière-plan où elle est à son avantage. Cela fait écho aux forêts qu’elle avait évoqué lors de notre premier échange quelques semaines auparavant. Allongée sur son fauteuil, les bras derrière la tête, elle semble détendue et je parviens plus facilement à arrêter ses mouvements incontrôlables grâce à une vitesse d’obturation plus rapide qu’en intérieur ( je n’utilise pas de flash). Ici, en extérieur, le fauteuil prend une autre dimension, on s’éloigne du fauteuil comme prothèse et il apparaît davantage comme une assise confortable.
Avec les autres personnes de la mas, la même demande revient, c’est-à-dire de les photographier dans leur cadre de vie : dans la chambre où la personne apparaît dans le reflet d’un miroir, ou encore portant sur son fauteuil des attributs la représentant, dans les lieux appréciés de l’unité de vie et parfois entourée par les personnes qui s’occupent d’elle au quotidien.
À l’Ehpad, il en est de même : Régine, qui pratique la peinture, souhaite poser dans sa chambre avec ses toiles entre les mains. Monsieur W., dont je photographie la chambre, préfère rester assis sur son lit pendant la prise de vue et ainsi, je le photographie lisant son journal. D’autres personnes demandent à être prises en photo dans les espaces communs ou lors de sorties. Car à l’ehpad, je rencontre des personnes encore valides et en capacité de me servir de guides à l’extérieur de l’établissement. Je profite notamment de la motivation de Claude à me faire découvrir la région pour aller dans plusieurs lieux évoqués par les autres résidents et qu’il connaît bien. Ensemble, nous sillonnons les routes du Quercy Blanc pour découvrir Flaugnac, Pern et le Moulin de Boisse. Je fais des photos durant nos marches dans les villages, mais aussi des paysages aux alentours en intégrant parfois ce monsieur dans le cadre.
Ces demandes me prennent de court car nous n’avions pas envisagé que les personnes apparaissent sur les photographies au moment de l’élaboration du projet. Le fait qu’elles n’y soient pas était au contraire un moyen de pouvoir plus facilement envisager un projet photographique dans de tels lieux. En effet, pour les gens vivant en institution, la question des droits à l’image est plus complexe car ils sont souvent sous tutelle. Ils ne sont donc pas en capacité de donner leur accord pour l’utilisation de leur image. Peut-être ces photographies ne seront-elles jamais diffusées plus largement qu’aux personnes qui figurent dessus et à leurs proches et cela sera mieux ainsi : la trace de ce moment partagé restera entre nous.
À l’issue de cette 3e semaine, j’ai déjà effectué un tiers de ma résidence ; le temps passe trop vite. J’ai encore une semaine dédiée aux prises de vue avec les personnes de l’Ehpad et de la Mas avant d’entamer le travail au Foyer de Vie de Lalbenque et avec les bénéficiaires de Lot Aide à Domicile. La perspective de ne plus voir ces personnes de Castelnau-Montratier me noue le ventre. J’en ai parlé avec Juliette qui m’a demandé comment je parvenais à gérer cette difficulté lors de mes autres résidences. Avec le recul, je me rends compte que pour les autres projets où j’ai tissé des liens forts avec les gens, comme avec les femmes gitanes à Berriac (4) et les femmes de la Maison de Quartier d’Ivry-Port (5), j’ai toujours négocié (avec moi-même parfois) pour y retourner, ne pas interrompre
d’un coup. À Ivry, la résidence ne devait durer que l’année 2019, puis j’ai pu prolonger de 6 mois et finalement, je continue à y aller régulièrement, à trouver des moyens de poursuivre le travail et les rencontres avec les femmes. Je sais que je ne pourrai pas faire pareil ici dans le Lot, j’habite trop loin, mais je ne pourrai pas non plus arrêter brutalement ; il faudra trouver un moyen de garder le lien.
[3] Fauteuil conçu pour les personnes atteintes de la maladie d’Huntington.
(4) Hortense Soichet et les femmes gitanes de Berriac, Esperem. Images d’un monde en soi, Créaphis, Grâne, 2016.
(5) Hortense Soichet, Hier, on est sorties faire des photos, Grâne, Créaphis, 2022.
Avec les autres personnes de la mas, la même demande revient, c’est-à-dire de les photographier dans leur cadre de vie : dans la chambre où la personne apparaît dans le reflet d’un miroir, ou encore portant sur son fauteuil des attributs la représentant, dans les lieux appréciés de l’unité de vie et parfois entourée par les personnes qui s’occupent d’elle au quotidien.
À l’Ehpad, il en est de même : Régine, qui pratique la peinture, souhaite poser dans sa chambre avec ses toiles entre les mains. Monsieur W., dont je photographie la chambre, préfère rester assis sur son lit pendant la prise de vue et ainsi, je le photographie lisant son journal. D’autres personnes demandent à être prises en photo dans les espaces communs ou lors de sorties. Car à l’ehpad, je rencontre des personnes encore valides et en capacité de me servir de guides à l’extérieur de l’établissement. Je profite notamment de la motivation de Claude à me faire découvrir la région pour aller dans plusieurs lieux évoqués par les autres résidents et qu’il connaît bien. Ensemble, nous sillonnons les routes du Quercy Blanc pour découvrir Flaugnac, Pern et le Moulin de Boisse. Je fais des photos durant nos marches dans les villages, mais aussi des paysages aux alentours en intégrant parfois ce monsieur dans le cadre.
Ces demandes me prennent de court car nous n’avions pas envisagé que les personnes apparaissent sur les photographies au moment de l’élaboration du projet. Le fait qu’elles n’y soient pas était au contraire un moyen de pouvoir plus facilement envisager un projet photographique dans de tels lieux. En effet, pour les gens vivant en institution, la question des droits à l’image est plus complexe car ils sont souvent sous tutelle. Ils ne sont donc pas en capacité de donner leur accord pour l’utilisation de leur image. Peut-être ces photographies ne seront-elles jamais diffusées plus largement qu’aux personnes qui figurent dessus et à leurs proches et cela sera mieux ainsi : la trace de ce moment partagé restera entre nous.
À l’issue de cette 3e semaine, j’ai déjà effectué un tiers de ma résidence ; le temps passe trop vite. J’ai encore une semaine dédiée aux prises de vue avec les personnes de l’Ehpad et de la Mas avant d’entamer le travail au Foyer de Vie de Lalbenque et avec les bénéficiaires de Lot Aide à Domicile. La perspective de ne plus voir ces personnes de Castelnau-Montratier me noue le ventre. J’en ai parlé avec Juliette qui m’a demandé comment je parvenais à gérer cette difficulté lors de mes autres résidences. Avec le recul, je me rends compte que pour les autres projets où j’ai tissé des liens forts avec les gens, comme avec les femmes gitanes à Berriac (4) et les femmes de la Maison de Quartier d’Ivry-Port (5), j’ai toujours négocié (avec moi-même parfois) pour y retourner, ne pas interrompre
d’un coup. À Ivry, la résidence ne devait durer que l’année 2019, puis j’ai pu prolonger de 6 mois et finalement, je continue à y aller régulièrement, à trouver des moyens de poursuivre le travail et les rencontres avec les femmes. Je sais que je ne pourrai pas faire pareil ici dans le Lot, j’habite trop loin, mais je ne pourrai pas non plus arrêter brutalement ; il faudra trouver un moyen de garder le lien.
[3] Fauteuil conçu pour les personnes atteintes de la maladie d’Huntington.
(4) Hortense Soichet et les femmes gitanes de Berriac, Esperem. Images d’un monde en soi, Créaphis, Grâne, 2016.
(5) Hortense Soichet, Hier, on est sorties faire des photos, Grâne, Créaphis, 2022.