Interview avec Didier De Fays, publiée sur le site photographie.com le 17 septembre 2013.

Comment vivent les gens ? C'est la question que s'est posée la photographe Hortense Soichet, dont le travail interroge la relation entre les occupants et leur lieu de vie. En zone rurale ou urbaine, dans des quartiers pauvres ou aisés, la photographe pénètre dans l'intimité des gens et leur donne la parole. Les Photaumnales exposent son reportage réalisé dans les quartiers Argentine et Saint-Lucien de Beauvais.


Photographie.com : Cela fait plusieurs années que vous vous intéressez aux différentes manières d'habiter.
Hortense Soichet : En effet, ça fait plus de quatre ans que je développe un travail sur les manières d'habiter. Espaces partagés est un projet que j'ai mené à Beauvais, Carcassonne, Colombiers et à Montreuil. Il fera bientôt l'objet d'un livre aux éditions Créaphis (sortie prévue : début 2014).
C'est intéressant de voir que les manières d'habiter ne sont pas partout les mêmes ; c'est notamment ce que je mets en avant dans cette série. Il y a par exemple beaucoup de différences entre Carcassonne qui est une ville proche de la Méditerranée, où la communauté maghrébine est importante (ce dont témoigne la décoration des espaces domestiques), et Beauvais, qui est une ville du nord de la France où les habitants passent beaucoup de temps chez eux en raison notamment du climat (ce qui fait que les intérieurs sont souvent très chargés). J'aime pouvoir montrer une diversité de manières de vivre.
Photographie.com : Vous avez également photographié la Goutte d'Or.
Hortense Soichet : J'ai photographié une centaine de logements de ce quartier entre 2009 et 2010 et  ça a donné lieu à un livre qui est sorti en 2011 (Intérieurs, logements à la Goutte d'Or aux éditions Créaphis). Suite à ce travail, j'ai eu envie de poursuivre dans plusieurs quartiers de logements sociaux, mais en m'intéressant davantage aux récits de vie des habitants. J'ai également changé de format, je travaille actuellement en argentique (6x6).
Pour cette exposition sur le volet beauvaisien du projet, j'ai choisi de montrer chaque logement en trois images. Mes accrochages sont souvent symétriques et stricts ; cela me permet de donner un aperçu d'univers différents tout en rendant le travail lisible.
Photographie.com : Comment décririez-vous votre travail ?
Hortense Soichet : Je dirais que je pratique une photographie de style documentaire, avec un intérêt fort pour le social. Elle s'inscrit dans la tradition de la photographie d'intérieurs dont les figures emblématiques sont pour moi Eugène Atget et François Hers.
Photographie.com : Combien de temps passez-vous sur place ?
Hortense Soichet : Ça dépend des habitants et de la configuration des lieux. À la Goutte d'Or c'était très rapide parce que les gens n'ont pas beaucoup de temps et que les logements sont souvent petits. À Beauvais, je passais en moyenne deux heures sur place, et en milieu rural, pour le projet Des habitants, la haute-Garonne (www.leshabitants.com) une demi-journée car les gens m'invitaient souvent à manger. Je m'adapte aux lieux et à la disponibilité des personnes.
Photographie.com : À Montreuil, vous avez présenté vos photos aux habitants du quartier.
Hortense Soichet : Montreuil a été le premier volet du projet, réalisé entre 2011 et 2012. Ce qui est important dans ce genre de démarche, c'est qu'il y ait une restitution in-situ, dans les quartiers concernés. Dans la mesure où il n'y a pas de lieu d'exposition dans ces quartiers, je m'adapte au contexte. A Montreuil, j'ai fait une exposition à l'extérieur du quartier et dans le théâtre de La Noue ; à Colomiers, on a réalisé avec le centre d'art municipal le Pavillon Blanc un livre qui a été distribué aux habitants et qui est en vente en librairie (Aux Fenassiers, éditions Créaphis, 2012) ; à Carcassonne, il y a eu une projection durant la fête du quartier du Viguier organisée avec le soutien du Graph qui a porté la résidence. Pour Beauvais, outre l'exposition présentée à l'espace culturel François Mitterrand dans le centre ville, il y a des projections des photographies dans les deux médiathèques des quartiers Argentine et Saint-Lucien et une diffusion des images par le biais d'une édition de six cartes. Il s'agit de photographies avec au verso des paroles des habitants.
Photographie.com : Vous avez rencontré beaucoup de personnes d'horizons très différents.
Hortense Soichet : En effet, entre les personnes vivant à la Goutte d'Or, en milieu périurbain ou encore dans des quartiers de logements sociaux, j'ai rencontré environ 250 personnes chez elles depuis 2009. J'ai également eu l'opportunité à Beauvais d'aller dans une résidence Adoma (ancien foyer Sonacotra), c'est quelque chose qui me tenait à coeur depuis longtemps. La richesse d'histoires et de manières d'habiter est incroyable. Chaque rencontre est un moment fort, ce sont des personnes et des lieux qu'on n'oublie pas.